Quelles émotions pour nos funérailles ?

 

Depuis 2022, l’auteur Elie Guillou et la chanteuse Chloé Breillot ont ouvert un collectif d’artistes proposant de chanter et dire des textes à l’occasion des funérailles laïques, près de chez eux, à Montreuil (93). Convaincus que les artistes ont un rôle à jouer dans ce moment fondateur de l’expérience humaine - et qu’il y a là un manque - nous nous mettons à disposition des familles afin de contribuer à la construction d’une cérémonie funéraire sensible, en dehors des traditions religieuses.

Notre proposition est très simple et se veut sobre, non intrusive. Nous proposons de chanter deux chansons : la première, choisie par la famille, qui est en lien avec le défunt/la défunte et la seconde, choisie par nous, qui s'adresse à ceux qui restent.

Celles et ceux pour qui le religieux ne structure plus l’existence se retrouvent avec une grande liberté pour organiser leur vie, mais également, sur certains aspects, avec un grand vide. Au moment des funérailles, l’absence d’appareil symbolique se fait violemment sentir. 

Quand la mort frappe, il faut agir vite, et souvent s’appuyer sur des pratiques qui nous pré-existent. Or, là où les traditions religieuses bénéficient d’un rituel éprouvé, qu’avons-nous ? La parole des proches du défunt forment bien sûr le socle autour duquel ces nouvelles cérémonies s’organisent mais pour le reste ? Un crématorium perdu dans une zone industrielle, une chanson diffusée sur un lecteur cd : est-ce suffisant pour supporter notre peine, notre désir de sens, de symboles, de liens, de spiritualité ? Atrophié, ce rite fondateur dégrade le processus de deuil, ne nous permet plus d’entrevoir la possibilité d’un lien avec nos morts, ni de régénérer ces liens par lesquels les vivants font communauté.

Cette perte de sens a été particulièrement criante pendant les premiers mois du COVID19, pendant lesquels accompagner nos morts nous a été simplement interdit. Or, il se trouve qu’une autre question s’est posée à nous à la même période : celle de la place de la culture, donc des artistes.

Quand la culture a été déclarée ‘non-essentielle’, il s’est bien sûr trouvé des gens pour s’indigner mais ceux-ci étaient essentiellement des artistes eux-mêmes, aidés par quelques abonnés de théâtres, de musées, de salles de concerts… Pour la grande majorité de la population, en revanche, cette assertion n’a pas été source d’indignation : après tout, on avait accès depuis chez soi à plus de culture que l’on ne pourrait jamais en consommer.

Pourquoi la culture est-elle aujourd’hui perçue comme un simple agrément dont il serait possible de se passer ? En nous laissant enfermer dans la production de biens et d’évènements culturels, nous, les artistes, avons sans doute joué un rôle dans cette déliaison d’avec le reste du corps social. Nos pratiques ont déserté des aspects de la vie dans lesquels nos savoir-faire et nos sensibilités pourraient, nous semble-t-il, jouer un rôle porteur.

Affirmer que les artistes ont un rôle à jouer au sein des funérailles répond donc à cette triple préoccupation : resserrer les liens au sein de la communauté humaine, les liens entre les vivants et leurs morts et les liens entre les artistes et le reste du corps social.

Pour toutes ces raisons, succinctement présentées ici, nous avons décidé de considérer cette activité comme partie intégrante de notre activité et invitons les artistes dont la pratique résonne avec ces préoccupations, en faire de même, là où ils/elles se trouvent.

Elie Guillou, Chloé Breillot, Neset Kutas, Amal Allaoui, Marie-Suzanne de Loye, Cathy Gringelli, Céline Regnard, Estelle Amy de la Breteque, Liv Heym, Jean-Jacques Fauthoux, Anne Mazeau, Gheorghe Ciumasu et Héléna Morag.